Lara Costafreda : des racines qui dessinent le monde

L’illustratrice Lara Costafreda transforme nature, mémoire et engagement social en un univers onirique qui, avec La Roca Village, relie le local au global, dans un hommage à Lleida.

Pour La Roca Village

Le parcours de Lara Costafreda est celui d'une créatrice qui a su métamorphoser la sensibilité de ses racines en un langage visuel reconnu par certaines des plus grandes maisons de luxe au monde. Son trait, organique et poétique, transforme la nature en symbole, la mode en dialogue et l'art en engagement. Nous avons échangé avec l’illustratrice sur ses racines et son projet pour La Roca Village.

Comment décririez-vous Lleida en trois mots ?
Courageuse, austère et très sincère (ce que l’on voit, c’est ce qui est).

Lleida est une terre à la beauté austère, où la créativité conserve encore son état le plus pur et le plus authentique. Partagez-vous cette vision ?
Je ne sais pas si je parlerais de plus authentique, mais je pense en effet que nous, les créateurs originaires de Lleida, revenons toujours à elle dans tous ce que nous faisons. Une partie de la création vient de l'intérieur, et je pense que cela est lié aux racines. C'est une évidence lorsque l’on regarde les œuvres de quelqu'un qui vient de New York, de Chihuahua ou de Marrakech. Dans le cas de Lleida, peut-être n’existe-t-il pas encore d' « ADN de marque » aussi clair, mais ces racines sont là, latentes, comme une impulsion qui imprègne tout ce que nous faisons.

Vous avez grandi dans un environnement rural. Comment cela a-t-il influencé votre manière de créer ?

Je n’ai réalisé à quel point cela m’avait marqué que lorsque j’ai commencé à dessiner. Durant mes études, j'ai échoué en dessin. J'ai décidé de partir au Brésil et là-bas, presque sans y penser, j'ai commencé à dessiner une végétation sauvage et luxuriante. Des années plus tard, j'ai compris pourquoi : je dessinais la nature parce que c'était ma façon de revenir à mon essence la plus pure, à ces jours passés dans les bois, dans les champs arides. C'est ainsi que mon style a commencé à prendre forme : à partir de paysages et de plantes de nombreux endroits du monde, mais toujours connectés à cette première racine. Et toujours avec une touche de simplicité, qui rappelle l'austérité de Lleida.

Comment les paysages et la culture locaux deviennent-ils source d’inspiration ?

Quand je marche dans les rues ou dans les champs, je regarde toujours les plantes : elles m'attirent de manière presque hypnotique. Dans la zone aride de Lleida où j'ai grandi, la végétation a quelque chose de spécial : elle ne réclame aucune attention, mais elle est incroyablement belle. Cette année, avec les pluies, j'ai revu des fleurs que je n'avais pas vues depuis mon enfance. Cette discrétion mêlée de force m'inspire énormément. Il y a aussi un lien intime et émotionnel : j'ai vécu de nombreuses années avec ma grand-mère, qui était passionnée de plantes. Les dessiner me relie à elle.

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Vous avez vécu à Barcelone, à Londres, à Paris, au Brésil… Comment se reflète ce parcours dans votre vision actuelle ?

À 17 ans, j’ai quitté Lleida avec un seul objectif en tête : partir de Lleida. Je voulais explorer le monde, voir ce qu’il y avait au-delà de mon cercle intime – je viens d’un village de 300 habitants – mais je n’avais pas la moindre idée de quelles études entreprendre. J’ai débuté dans la mode presque par hasard.

Je me suis inscrite à un cours à Central Saint Martins et j’ai travaillé sur la semaine de la mode de Londres : ce fut extraordinaire. J’ai travaillé avec des designers à Barcelone, participé à la semaine de la mode de Paris, puis je suis partie à Rio de Janeiro, où j’ai terminé mes études. Je suis ensuite revenue à Barcelone, après avoir fait escale à Santiago de Chile, en Grèce, à Genève ou encore à Buenos Aires.  Et comment tout cela se reflète-t-il dans ma vision actuelle ? Partout. Mes racines sont à Lleida, mais mon cœur est dans le monde entier. Voyager et vivre dans différentes villes m'a permis de devenir la personne que je veux être : consciente de la chance que j'ai eue de naître dans un contexte privilégié, mais aussi de l'énorme responsabilité qui m'incombe d'utiliser mon temps pour contribuer, ne serait-ce qu’un peu, à réduire ces inégalités.

Vous vivez actuellement à Sudanell. Que représente pour vous le fait de pouvoir travailler depuis un petit village de Lleida ?

Quand je suis revenue, je pensais que ce ne serait pas pour longtemps, mais cela a été tout le contraire. Après tant d'années dans des villes hostiles, revenir dans le village où je connais tout le monde a été magique. J'apprécie ce lien : prendre soin de mes voisins, créer une communauté, concevoir des choses ensemble. Parallèlement, Sudanell est mon camp de base. Je me déplace beaucoup pour le travail et l’activisme, et grâce à Internet, je suis connectée au monde entier. Certains jours, je passe des heures à travailler sur un projet pour Shanghai, j'ai une réunion pour un autre projet à Paris, tout en répondant à un e-mail du Chili, et soudain je fais une pause pour aider une voisine à faire sortir un chat entré dans sa cuisine.

Des étourneaux apparaissent dans ton œuvre pour La Roca Village. Pourquoi ces oiseaux ?

Cette œuvre est un hommage à Lleida, et les étourneaux sont des oiseaux très caractéristiques de là-bas. À l'école, on jouait à ramasser les noyaux d'olives qu'ils laissaient tomber dans la cour, ils font donc partie de mes souvenirs d'enfance. De plus, les voir voler en bandes, dessinant des formes dans le ciel, est l'un des plus beaux spectacles de la nature. Cela m’a semblé être une image parfaite pour parler de communauté, de racines et de beauté partagée.

__Au-delà de la mode, La Roca Village mise sur le talent créatif, avec un engagement particulier envers les voix féminines locales. Que représente pour toi cette collaboration ? __

Le travail que réalise depuis des années La Roca Village me semble extraordinaire. Le fait qu’une destination shopping consacre autant d’efforts à soutenir des créatrices locales est loin d’être une évidence, et encore moins celles de Lleida. Je suis donc très reconnaissante de figurer dans cette liste de créatrices merveilleuses que vous avez invitées au fil des ans.
De plus, j'adore dessiner des maisons. D’ailleurs, quand j'étais petite, je dessinais toujours des maisons colorées avec beaucoup de fenêtres, et ma mère les encadrait. Après la nature, c'est ma deuxième passion. C'est pourquoi dessiner les maisons de La Roca Village, qui sont magnifiques, a été un véritable plaisir.

__Votre projet pour La Roca Village part d’une réinterprétation de la toile de Jouy. Parlez-nous de ce processus créatif qui transforme un brief en création intime. __

J’adore les toiles de Jouy car elles représentent des scènes de la vie quotidienne, remplies de détails cachés. Elles ont beaucoup en commun avec mon style, parce que je ne conçois pas l'illustration de manière linéaire : je ne fais jamais d'esquisses et je ne sais jamais à l'avance à quoi ressemblera une œuvre. Je dessine des éléments séparément, puis je les assemble dans Photoshop, comme s'il s'agissait des pièces d'un collage. Cela me permet de composer des scènes qui ne pourraient jamais exister dans la réalité.

Pour ce projet, j’ai suivi le même processus : j’ai illustré des éléments de La Roca Village puis que les ai assemblés dans de petites scènes. Ainsi, des objets et des éléments qui ne pourraient coexister dans la réalité se côtoient ici naturellement, créant un univers propre en accord avec l'esprit du lieu.

Comment décririez-vous votre style en quelques mots ?

Une lettre d'amour adressée à la nature. Un univers onirique rempli de nature, de couleurs et de sensibilité, à mi-chemin entre le réel et l'imaginaire.

Que représente pour vous la mode au quotidien et comment se recoupe-t-elle avec votre langage visuel ?

Pour moi, la mode est un langage, une manière de raconter qui nous sommes et comment nous voulons habiter le monde. Je ne l’envisage pas tant à travers les vêtements qu'à travers le récit et l'imaginaire qu'elle tisse autour d'elle. C'est là qu'elle rencontre mon travail d'illustratrice : moi aussi, je construis des univers visuels qui parlent d'identité, de racines, de rêves.

Au fil des années, vous avez travaillé avec certaines des marques de luxe les plus influentes au monde. Que représente pour vous le fait de placer à présent ces expériences au service d’un projet lié à vos racines ?

Travailler avec des marques de luxe m’a énormément appris, cela m’a permis de comprendre les processus, l’exigence et le pouvoir de la communication visuelle à grande échelle. Mais placer à présent ces expériences au service d’un projet en lien avec mes racines est encore plus spécial. Travailler localement, depuis ma région et ma mémoire, me procure un sentiment de plénitude différent : c'est comme boucler la boucle. Après des années à regarder vers l'extérieur, revenir à Lleida et créer depuis ces lieux, avec ce que je suis et ce qui m'a formé, est un cadeau.

À l’ère de l’intelligence artificielle, où résident l’émotion et l’authenticité de l’art humain ?

L’intelligence artificielle peut générer des images spectaculaires, mais l’émotion de l’art humain ne réside pas tant dans le résultat que dans le processus créatif. Dans la fragilité, dans l'erreur qui devient une découverte, dans la mémoire et les expériences qui filtrent à travers chaque trait. L'authenticité réside dans ce qui ne peut être programmé : la manière unique que nous avons de regarder le monde et ce regard qui se transforme en œuvre...

Comment votre activisme se reflète-t-il dans votre œuvre et votre conception de la création artistique ?

Pour moi, créer n'a jamais été uniquement une question d'esthétique : c'est aussi une manière de se positionner dans le monde. Mon engagement envers la société se reflète autant dans mes travaux que dans les projets que j'accompagne, surtout à travers le bénévolat que je fais depuis des années pour des initiatives de design en faveur de la transformation sociale, comme la campagne Volem Acollir, qui a entre autres donné lieu en 2017 à la plus grande manifestation européenne en faveur de l'accueil de réfugiés dans le contexte de la guerre en Syrie. L'art, la communication et le design peuvent servir d’outils pour ouvrir le dialogue, donner de la visibilité à certaines réalités et construire un avenir plus juste.

Les voix féminines sont fondamentales dans la mode et l’art contemporains. Quelle importance revêt pour vous le fait de donner à voir le talent féminin ?

Il est pour moi fondamental de donner de la visibilité non seulement aux voix féminines mais aussi à toutes les identités et tous les genres qui ont historiquement été exclus du discours dominant. Il ne s’agit pas seulement d'une question de justice, mais aussi d'enrichir le présent grâce à des visions différentes qui élargissent et transforment notre manière de comprendre l'art et la mode.

La durabilité et la conscience sociale sont au cœur du dialogue créatif actuel. Quel est le rôle d’un créatif ?

Un créatif ne peut pas travailler en tournant le dos au monde. Notre rôle va bien au-delà de faire quelque chose de beau : il est de notre responsabilité de nous questionner sur l’impact que génère ce que nous créons, des messages que cela véhicule et de l’avenir que cela contribue à créer. L’art et le design sont des langages puissants, capables d’émouvoir et de transformer. Les utiliser avec conscience - dans une optique de durabilité, de justice sociale et de diversité - est pour moi un élément essentiel de notre travail de créateurs.

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